Des bulles aux salles obscures

Publié le 15 janvier 2025 par Artemisia
Des bulles aux salles obscures
MediaMorphose

Voyage à travers les univers connectés du transmedia

 

Feuillets crayonnés, bulles expressives et décors détaillés : le 9e art — à savoir la bande dessinée — s’est toujours nourri d’imaginaire. Mais que se passe-t-il lorsque ces héros de papier, en silence depuis tant d’années sur leur étagère, prennent une tout autre dimension au cinéma?

 

Tu le sais, dans MediaMorphose, j’aime t’emmener dans la richesse de la pop culture et les possibilités qu’elle offre aux films d’animation. Avec le Festival de la bande dessinée d’Angoulême qui approche à grands pas à la fin du mois de janvier, l’occasion est parfaite pour explorer ensemble les œuvres animées tirées de nos BD européennes préférées.

Pour cette chronique, découvrons ces héros sur feuille qui, de l’immobilité d’une planche, cèdent à la vivacité de l’animation pour devenir des stars du grand écran. Tu retrouveras quelques noms bien connus et quelques pépites oubliées qui, je l’espère, attireront ton attention. Alors, c’est parti : l’Arcadia a déjà ses moteurs qui chauffent et n’attend plus que toi !

 

Zombillénium
Zombillénium - Arthur de Pins, Alexis Ducord - 2017

 

Les classiques : Tintin, Astérix et Lucky Luke

De Tintin à Yakari, en passant par Astérix, les adaptations animées des bandes dessinées du vieux continent témoignent de l’incroyable richesse culturelle de ce média. Chacune apporte son lot de défis, car il n’est pas aisé de transformer des cases statiques en une narration cinématographique qui sait séduire aussi bien les fans de la première heure que les néophytes.

Commençons tout de suite, par la « doyenne » : Tintin — que je n’ai pas besoin de présenter — est la première bande dessinée à avoir été adaptée en animation.

Cette toute première association remonte aux années 40, quand Tintin (créé par Hergé) fait ses premiers pas animés avec Le Crabe aux pinces d'or (1947). Le film, conçu à partir de figurines composées de chiffons et de bois, animées image par image, souffre de la difficile transposition de la bande dessinée et d’une animation gauche et maladroite. Le film a été projeté à quelques rares reprises en 1947. Cependant, après la faillite du producteur, les bobines ont été saisies par la justice, rendant le film introuvable pendant des décennies. Ce n'est qu'en 2008 qu'il a été redécouvert et édité en DVD, permettant aux passionnés de Tintin de le visionner.

 

Le crabe aux pinces d'or - Claude Misonne - 1947

 

Plus tard, un autre album de Tintin s'est illustré au cinéma avec nettement plus de succès : Le Temple du Soleil (1969) puis Le Lac aux requins (1972). Ces adaptations ont permis au reporter de Hergé d’évoluer dans des intrigues exaltantes en compagnie des personnages que nous connaissons tous, Tintin, le courageux reporter et héros principal de l’histoire, Milou, son fidèle compagnon à quatre pattes, et ses amis, le capitaine Haddock, marin au tempérament bien trempé et amateur de whisky, le professeur Tournesol, l'inventeur génial et un peu distrait, sans oublier Bianca Castafiore, la célèbre cantatrice au caractère excentrique.

 

Tintin et le Lac aux requins
Tintin et le Lac aux requins - Raymond Leblanc - 1972

 

Quelques décennies plus tard, le Spielberg d’animation donnait à Tintin une tout autre dimension avec sa version moderne des Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (2011). Le résultat est un monde visuellement riche et dynamique, à l’animation immersive, avec des séquences d’action captivantes. Il a été salué pour son respect de l’esprit des œuvres originales de Hergé et a été nominé pour plusieurs récompenses, soulignant sa qualité artistique et sa réalisation technique.

 

Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne
Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne - Steven Spielberg - 2011

 

Maintenant, si je te parle de protagonistes attachants, hauts en couleur, où l’amitié et les baffes se fêtent autour d’un bon banquet, tu auras deviné qu’il s’agit d’Astérix.

Et oui, impossible de parler de l’animation inspirée de la bande dessinée belge, sans évoquer une autre icône bien connue du public : Astérix, imaginée par René Goscinny et Albert Uderzo.

C’est en 1967 que notre Gaulois favori arrive dans les salles obscures avec Astérix le Gaulois. Triomphe immédiat pour cette première aventure animée, qui bien que modeste ouvrira le bal pour d’autres adaptations, avec Astérix et Cléopâtre (1968). L’humour potache et le talent artistique des réalisateurs insuffleront une énergie inattendue. Et l’inoubliable chanson « le pudding à l’arsenic » est encore aujourd’hui un grand classique, qui soit-dit en passant, a été repris par Magoyond pour une version rock moderne pétillante.

La franchise au cinéma se poursuit avec Les douze Travaux d’Astérix (1976), Astérix et la Surprise de César (1985), Astérix chez les Bretons (1986), Astérix et le Coup du Menhir (1989), Astérix et les Indiens (1994), Astérix et les Vikings (2006).

 

Astérix, le Gaulois et Astérix et Cléopâtre
Astérix le Gaulois - Ray Goossens - 1967 (à gauche) / Astérix et Cléopâtre - René Goscinny, Albert Uderzo - 1968 (à droite)

 

Plus récemment, la franchise s’est mise au goût du jour avec les films Astérix : Le Domaine des dieux (2014) et Astérix : Le Secret de la potion magique (2018). En utilisant la 3D pour réinventer l’univers tout en respectant l’esprit initial, ces films ont enchanté le public par des dialogues drôles et pertinents (merci Alexandre Astier) et une animation vive et colorée. D’ailleurs, petite info pour les fans : Astérix : Le Royaume de Nubie est prévue au cinéma pour 2026.

 

Astérix: Le Domaine des Dieux
Astérix: Le Domaine des Dieux - Alexandre Astier, Louis Clichy - 2014

 

Enfin, comment ne pas mentionner Lucky Luke, le cow-boy solitaire, qui fit des plaines de l’Ouest sauvage un terrain d’humour unique ? Daisy Town (1971) grave ses débuts en animation, suivi de La Ballade des Dalton (1978), qui, conforme au style de Morris et Goscinny, est une référence et continue de ravir petits et grands.

Dans ce décor où les répliques fusent plus vite que les balles, même Rantanplan, le chien le plus empoté de l’Ouest, trouve sa place. Quant aux Dalton — Joe, Jack, William et Averell — ces quatre frères inénarrables, ils ont réussi l’exploit de se faire pourchasser sans relâche par Lucky Luke tout en étant sympathiquement incompétents.

Deux autres adaptations et une série sont à découvrir pour les plus fervents amateurs : Les Dalton en cavale (1983), Tous à l’Ouest (2007) et Les Nouvelles Aventures de Lucky Luke (2001), une série de 52 épisodes.

 

Tous à l'ouest
Tous à l'ouest - Olivier Jean-Marie - 2007

 

Des lutins et des indiens

Que seraient les années 80 sans ces petits êtres bleus gambadant dans une forêt enchantée ? Les Schtroumpfs, nés du génie de Peyo, sont passés des albums aux séries télévisées avant de conquérir le cinéma d’abord avec La Flûte à six Schtroumpfs (1975). Avant cela, en 1965 la télévision belge avait diffusé Les aventures des Schtroumpfs (connu aussi sous le nom de L’Histoire de Schtroumpf). Ce téléfilm en noir et blanc, complètement tombé dans les limbes de l’oubli, démontre le caractère intergénérationnel d’une bande dessinée datant de 1958.

La série animée des années 80 des studios Hanna-Barbera Productions a été décliné en trois longs-métrages pour le cinéma : V’la les schtroumpfs (1984), Le Bébé schtroumpf (1984) et Les P’tits Schtroumpfs (1987). Il s’agit en réalité de compilations de différents épisodes, remontés pour obtenir une histoire plus ou moins cohérente. Ce procédé avait déjà été utilisé pour Les Dalton en cavale, long-métrage dérivé de la série Lucky Luke.

 

La Flûte à Six Schtroumpfs
La Flûte à Six Schtroumpfs - Peyo, José Dutillieu - 1975

 

Les films Les Schtroumpfs (2011) et Les Schtroumpfs 2 (2013), de Raja Gosnell, quant à eux, mêlent animation et prises de vue réelles. Ces exemples de technologie, appréciés ou non, illustrent la manière dont l’animation transcende les frontières entre la réalité et l’imaginaire, pour proposer une expérience cinématographique en phase avec leur époque.

 

Les Schtroumpfs
Les Schtroumpfs - Raja Gosnell - 2011

 

Plus tard, Les Schtroumpfs et le Village Perdu (2017) marque un retour aux sources pour la célèbre franchise des petits lutins bleus, tout en adoptant une animation entièrement 3D.

Les Schtroumpfs, très aimés du public, feront leur grand retour en 2025 avec Rihanna dans le rôle de La Schtroumpfette. Il s’agirait d’une adaptation musicale de l’album Les Schtroumpfs noirs.

 

Les Schtroumpfs et le Village perdu - Kelly Asbury - 2017
Les Schtroumpfs et le Village perdu - Kelly Asbury - 2017

 

De leur côté, Yakari et son loyal poney Petit-Tonnerre imaginés par Job, Derib et Dominique, ont émerveillé les jeunes lecteurs pendant des décennies. Leur succès ? Le lien étroit avec la nature et les légendes amérindiennes.

L’adaptation cinématographique Yakari, la grande aventure (2020) a d’ailleurs su raviver cette flamme, offrant un voyage visuel magique en salle avec une attention particulière aux paysages et à la délicatesse de son message écologique.

Un deuxième long-métrage est en préparation chez Ellipse Animation ; il devrait sortir sur les écrans début 2026. Patience… patience !

 

Yakari, La Grande Aventure
Yakari - La Grande Aventure - Xavier Giacometti, Toby Genkel - 2020

 

Des épopées plus matures

Les productions destinées à un public plus adulte ne sont pas en reste et certaines conjuguent récits philosophiques et quêtes épiques.

C’est le cas de Corto Maltese, héros romantique de Hugo Pratt, qui a trouvé une seconde vie dans le film La Cour secrète des Arcanes (2002), adapté de l’album Corto Maltese en Sibérie. Ce marin mystérieux transporte les spectateurs dans des contrées exotiques baignées de poésie, prouvant que l’animation peut rivaliser avec le cinéma traditionnel en profondeur et en lyrisme.

À noter, quatre moyens métrages qui ont été diffusés à la télévision et qui sont tirés des albums La Ballade de la mer salée, Sous le signe du Capricorne, Les Celtiques et La Maison dorée de Samarkand.

 

Corto Maltese : La Cour secrète des arcanes
Corto Maltese : La Cour secrète des arcanes - Pascal Morellio - 2002

 

Immortel (ad vitam), réalisé par Enki Bilal en 2004, exporte son monde futuriste complexe dans les salles obscures où l’immortalité et les intrigues politiques se croisent.

Le film a été applaudi pour sa vision artistique ambitieuse et sa capacité à traiter des thèmes profonds à travers une esthétique visuelle frappante. Bien qu’il ait divisé les critiques, il a suscité l’intérêt pour sa tentative hasardeuse de transposer l’univers délicat et dense de Bilal de la bande dessinée à l’écran. Il a ainsi significativement contribué au genre de la science-fiction animée, sous- représentée en Europe.

 

Immortel (ad vitam)
Immortel (ad vitam) - Enki Bilal - 2004

 

Titeuf, Bécassine & Bob et Bobette

Parmi les nombreuses adaptations notables, certains héros papiers bien-aimés ont aussi franchi le pas vers l’animation, procurant une fraîcheur inédite à leurs péripéties.

Titeuf, le petit garçon espiègle créé par Zep, a envahi les écrans en 2011 avec son humour décapant et ses tribulations quotidiennes. Son adaptation en long métrage, Titeuf, Le film, parfois laborieuse capture néanmoins l’esprit comique et l’innocence de la bande dessinée originale. Elle narre les défis de l’enfance avec modernité et audace. Plusieurs personnalités notables sont vocalement présentes dans le film : Johnny Hallyday, Jean-Jacques Goldman, Patrick Bruel, ou encore Francis Cabrel amènent une touche très savoureuse aux dialogues.

 

Titeuf, le film
Titeuf, le film - Zep - 2011

 

Bécassine, la jeune Bretonne au grand cœur, imaginée en 1905 par Jacqueline Rivière et Émile- Joseph-Porphyre Pinchon a également pris vie en animation. Le film Bécassine: Le Trésor viking sorti en 2001 transporte les spectateurs dans des aventures rocambolesques, avec des illustrations lumineuses et un ton léger. Le film a été bien accueilli pour sa fidélité à la bande dessinée qui a su préserver le charme naïf et la simplicité du personnage de Bécassine, figure emblématique de la littérature jeunesse.

 

Bécassine: Le Trésor viking
Bécassine: Le Trésor viking - Philippe Vidal - 2001

 

Bob et Bobette, duo marquant du dessinateur belge Willy Vandersteen, ont eux aussi fait le saut vers l’animation avec Bob et Bobette : Les Diables du Texas. Ce film d’animation de 2009 conserve l’ambiance caractéristique de la bande dessinée avec des héros pittoresques et des décors chamarrés. Il conduit les spectateurs dans une histoire au cœur de l’Ouest américain, associant humour, mystère et action, conforme à l’esprit des premières aventures.

 

Bob et Bobette - Les diables du Texas
Bob et Bobette - Les diables du Texas - Wim Bien et Mark Mertens - 2009

 

Un avenir radieux pour l’animation issue de la BD européenne

Alors qu’as-tu pensé de ces films ?

Je suis sûre que certaines de ces adaptations t’étaient totalement inconnues. Pourtant, elles prouvent que la magie des bandes dessinées — quelles qu’elles soient — s’épanouit pleinement à travers l’animation et offre aux fans des manières audacieuses de redécouvrir leurs personnages préférés.

Ainsi, si passer du papier au grand écran permet certes de s’adresser à un public élargi, l’animation va au-delà. Par le mouvement, la musique, les dialogues, elle ouvre une autre fenêtre sur des mondes que l’on pensait déjà connaître. Une telle transformation réussie exige un savant dosage et passer de la planche dessinée aux salles obscures n’est pas sans défi : il faut rester fidèle à l’esprit de l’œuvre tout en adaptant son rythme à celui du cinéma. Les artistes doivent aussi jongler avec des attentes variées : satisfaire les lecteurs assidus tout en séduisant un public novice.

À l’ère du numérique, les adaptations de bandes dessinées semblent promises à un bel avenir. Avec la montée des technologies hybrides, les ponts entre le 9e art et l’animation ne cessent de s’élargir. Ainsi, les bandes dessinées européennes, riches d’une diversité culturelle et graphique unique, continueront à alimenter l’animation et nous gratifieront encore de merveilleux moments dans les salles obscures comme en témoignent les projets en cours.

Alors que tu es plutôt Gaulois irréductible, cow-boy solitaire ou adepte des maisons champignons, il y aura toujours une adaptation animée pour réveiller ton âme d’enfant. D’ici la prochaine séance réouvre tes vieilles BD, car qu’importe le support, les bonnes histoires méritent qu’on s’y replonge encore et encore. Et ce conseil est valable pour tous les articles et chroniques présents sur notre site. Prends le temps de le parcourir, de belles histoires sur les films d’animation t’y attendent. Je te dis à dans un mois, pour un prochain voyage.

 

Les Légendaires - Guillaume Ivernel - 2025

 

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