Jacques Métille - Filmspourenfants.net
Rencontres et interviews avec les talents de l'animation
À l’occasion d’un travail de documentation sur la classification des films par tranche d’âge, notre rédaction a constaté qu’il s’agit d’un sujet délicat, difficile à catégoriser de manière précise et collective. C’est dans ce contexte que nous avons rencontré l’équipe du site FilmsPourEnfants.net.
FilmsPourEnfants.net est une plateforme précieuse pour les parents soucieux de sélectionner des programmes adaptés à leurs enfants. Le site propose une classification indépendante des œuvres, indiquant l’âge minimum recommandé, ainsi qu’une analyse approfondie du contenu. Ces analyses détaillent les thématiques et les messages véhiculés par les productions, signalent les scènes potentiellement difficiles, et fournissent des informations complémentaires, telles que le vocabulaire employé ou le genre d’ambiance sonore.
Jacques Métille, fondateur et rédacteur en chef du site, consacre une partie importante de son temps à visionner, analyser et documenter les œuvres audiovisuelles afin d’aider les familles à faire des choix éclairés. Dans un monde où les écrans occupent une place croissante, son travail offre un regard attentif sur les messages véhiculés et les éventuelles scènes stressantes.
Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’échanger avec lui pour mieux comprendre l’utilité et l’importance de la classification des œuvres cinématographiques.
L'origine et la mission de FilmsPourEnfants.net
Bonjour Jacques. Est-ce que ton travail pour FilmsPourEnfants.net te rend heureux ?
J'alimente un site dont je suis fier. Je lui donne de mon temps, je suis content de me sentir utile. C'est un luxe de pouvoir offrir à la collectivité quelque chose de gratuit sur Internet, à contre-courant d'une consommation à tout prix. Et en bonus, ça me permet de rencontrer des personnes sympathiques.
Qu’est-ce qui t’a poussé à créer ce site ?
Un gamin de quatre ans et un autre de deux ans et demi qui commençaient à visionner tous les Disney. Moi, les films d'animation, j'aimais beaucoup, et j'étais bien content quand j'en découvrais un nouveau. Depuis Récré A2, je n'ai jamais décroché des animés japonais, de Goldorak à Dragon Ball jusqu'à Akira et Nausicaä. J'ai même fait de l'import de laserdisques quand c'était le seul moyen d'avoir accès à ces productions. Le monde de l'animation est magique, et j'avais envie de transmettre cela à mes enfants. Mais d'autres les mettaient devant les écrans avant moi. Les gentils grands-parents avaient des cassettes ou du temps libre pour leur montrer ce qu'ils imaginaient adapté pour eux, alors que je voyais bien que leur univers n'avait rien à voir avec ces productions et que je souhaitais les garder pour plus tard. Il n'y avait pas de recommandation où je pouvais les rediriger, alors j'ai dû créer cela moi-même sur Internet.
Depuis combien de temps fais-tu cela, et qui t’accompagne dans cette aventure ?
Le temps passe, et c'est plus facile de se repérer avec l'âge de mon premier gamin qui avait 4 ans quand j'ai commencé. Il en a maintenant 20... Si au début je faisais tout, Maxime Giraud est apparu en 2015, en venant me proposer de faire une nouvelle version du site, avec plus de fonctions de recherche et un visuel plus adapté. Il est plus dynamique que moi pour ce qui est de faire évoluer les choses.
Quels étaient les objectifs initiaux de ce projet ?
Je ne m'imaginais pas forcément produire un site avec des centaines de productions référencées. Au départ, les principaux films me semblaient être ceux qui devaient être analysés, puis je me suis pris au jeu et j'ai continué vers toujours plus de productions différentes. L'objectif était d'avoir une idée du contenu du film, du court-métrage, de la série que l'on veut montrer à un enfant. Proposer à ceux qui s'intéressent à une production pensée pour les enfants d'obtenir des informations autres que le résumé de l'histoire. Proposer un âge en fonction des messages contenus dans le film et des scènes problématiques.
En quoi ce site se distingue-t-il des autres plateformes qui recommandent des films, comme CinéAnimation.fr par exemple ?
Je n'avais pas envie de recommander des films. Chacun ses goûts. Il y a des listes de conseils de films un peu partout qui sont souvent le goût des adultes. On cible le besoin des enfants. D'ailleurs, si on devait recommander des films pour les plus petits, il y a clairement le risque que les adultes s'embêteraient bien devant. Une grande partie des films de grands studios sont pensés avant tout pour les parents, ce sont eux qu'il faut motiver à emmener leurs enfants au cinéma. Et surtout, l'enfant a vraiment d'autres choses à expérimenter que de se trouver devant un écran. Je n'avais pas envie de promouvoir quelque chose, mais plutôt de rendre attentif à une problématique dans la production soi-disant pour enfants. Ce n'est pas un site pensé pour dire que c'est super de regarder des films, mais un site soucieux de faire en sorte que l'enfant n'ait pas accès à quelque chose de trop compliqué pour lui trop vite.
Ton expérience en tant qu’éducateur a-t-elle influencé ton approche ?
Ma formation m'a certainement aidé parce qu'elle était scolaire. Pour être au plus juste, mon approche se devait d'être plutôt factuelle dans un premier temps. Avant de se projeter ou d'analyser, il faut déjà recueillir. Je fais un grand travail pour décrire ce que je vois dans la partie "Scènes difficiles", j'y note juste ce qui est vu. Ensuite, je dois faire un travail d'analyse pour faire ressortir les "Messages". Donc merci aux études qui décentrent et affinent. Pour ce qui est du social, il se situe plutôt en amont : le monde mérite d'être aidé, aidons le monde. Respectons les goûts et les couleurs. Soutenons les parents qui n'ont pas que cela à faire et qui méritent d'être soulagés. Responsabilisons les parents et rendons-les attentifs au fait que l'écran propose aussi un contenu, pas seulement un moyen d'être un peu tranquille.
Analyse des œuvres et classification par âge
Peux-tu nous expliquer comment tu analyses les films et séries ? Comment procèdes-tu techniquement ?
Je prends énormément de notes durant le film, dans l'obscurité, que je tente ensuite de relire pour remplir les parties "Scènes difficiles" et "Messages". Quand je peux faire cela chez moi, je regarde sur mon ordi tout en faisant des pauses pour écrire ce que je vois. Je regarde tout le film, je regarde toute la série.
Quels sont les critères principaux que tu évalues (messages véhiculés, scènes stressantes, thèmes abordés) ?
Je n'évalue rien, je suis factuel, je tente au mieux de noter ce qui est. J'ai fait un travail en amont pour définir quels sont les types de scènes stressantes qui me permettent de classer les actions dans ma fiche (Mises en danger, Malaises, Moqueries, Maltraitance, Banalisation de la violence...). J'ai fait de même pour les messages, qui sont mis en évidence par des thèmes que je retrouve ou non dans les différentes productions. J'ai créé toute une série de ces thèmes que je récupère quand ils apparaissent dans le film. Ensuite, il peut y avoir une sorte d'évaluation quand, en fonction de cela et d'autres paramètres en lien avec le comparatif des centaines d'autres productions, je projette des âges.
Combien de temps en moyenne te faut-il pour analyser un film ?
Généralement, deux fois le temps du film ou de la série. Le temps de tout écrire, de tout corriger (d'ailleurs, je ne corrige pas bien, si quelqu'un est motivé à faire différentes corrections, on est preneurs :), le temps de trouver les images et les informations des crédits.
Comment classes-tu les œuvres par rapport à l’âge ou aux sensibilités des enfants ?
En fonction du travail précédemment expliqué (plus de détails ici). En ayant vu des centaines de films et séries sous le regard du public cible, c'est plutôt facile de les comparer entre eux et de glisser le nouveau que je viens de visionner dans l'une de ces tranches d'âge. La sensibilité des enfants, c'est une autre histoire. Je pense déjà que l'on peine à saisir ce que vit l'enfant lorsqu'il est face à l'écran. Ce n'est pas parce qu'un petit ne réagit pas qu'il est moins sensible que celui qui se cache derrière le canapé. Je pars du principe que tous les enfants devraient être accompagnés face aux choses dures qu'ils peuvent voir. Si vous laissez une scène violente se dérouler devant ses yeux, cela ne va pas l'aider à la traiter s'il continue le film comme si de rien n'était. Soit vous évitez de lui faire vivre cette violence, soit vous vous arrêtez et vous en discutez. Le site facilite les choses. Pour les parents qui ne veulent pas s'embêter à regarder le film et s'arrêter toutes les cinq minutes, on propose des âges où l'enfant devrait déjà avoir certaines armes pour faire face à ces différents types de tensions.
Comment concilies-tu tes recommandations avec les classifications officielles, comme celles de la commission de classification des œuvres cinématographiques, les célèbres "interdit aux moins de" ?
Pour moi, "officiel" ne veut rien dire. Ou alors il faudrait m'expliquer pourquoi les pays peuvent donner des âges différents pour un même film. Chaque pays peut avoir ses propres représentations de ce qui est visible ou pas. Le problème dans la vie, c'est que rien n'existe simplement. Les gens, lorsque ce n'est pas clair, se perdent ou ont l'impression de se faire arnaquer. Alors, on nous fait croire des choses, par exemple que c'est possible de déterminer les âges pour un film. Les interdits sont souvent en lien avec l'air du temps. Il y a des États où ce qui tourne autour de la sexualité va provoquer des interdictions ou des limitations plus ou moins prononcées (les seins dans Kirikou ne pouvaient pas apparaître comme cela en Amérique dans un animé pour enfants...). Derrière l'interdit, l'État veut protéger sans laisser d'alternative, et ça, les gens n'aiment pas, parce qu'on est de plus en plus individualistes et qu'on croit que l'on peut tout faire comme on veut. L'officiel dépend des personnes au pouvoir. Autant se faire une idée par soi-même. C'est donc compliqué, quand on a conscience de cela, de faire à peu près le même job que l'État. Mais si, en effet, je pose un âge recommandé, il y a tout ce qu'il faut pour que le parent, en lisant le reste de mon analyse, se fasse sa propre idée de la chose.
Que penses-tu de ces classifications officielles ? Sont-elles fiables selon toi ?
Cela doit dépendre du pays. Les classifications officielles ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre. Après, les enjeux de classification d'âge sont aussi en lien avec le nombre d'enfants (accompagnés de leurs parents) qui vont dépenser de l'argent au cinéma. Les Français, c'est plutôt risible, je trouve. On propose un "tout public" jusqu'à 12 ans. Presque tous les dessins animés seraient donc visibles par un enfant de 6 ans.
Quelles lacunes observes-tu dans leur manière de juger les œuvres ?
En France, il est difficile de savoir comment ils jugent les œuvres. Par contre, ils considèrent les enfants entre 4 et 11 ans du même niveau, vu que c'est ce que représente le "tout public". Après, si on avait des critères objectivables, cela aiderait aussi. Ce qui est évident, c'est que si tous ces films sont évalués par plein de personnes différentes, la subjectivité des ressentis va entrer en jeu. Quelle est la professionnalité dans ces analyses ? Depuis combien de temps les gens font-ils ce travail ?
As-tu des exemples concrets où ton analyse différait de manière notable de la classification officielle ? Y a-t-il des recommandations inadaptées qui t’ont particulièrement surpris ?
En fait, le problème en France, c'est que si le film est jugé visible par un enfant de 11 ans, il est jugé visible par un enfant de 6 ans... C'est, de fait, un problème. Pour rigoler, je vous cite quelques films "tout public" en France (Josep, Les Hirondelles de Kaboul, Mary et Max, Persépolis, Rogue One et tous les autres Star Wars, Avatar, Le Tombeau des lucioles, Couleur de peau : Miel, Ma famille afghane...). On ne doit pas avoir les mêmes enfants de 7 ans que ceux qui font ces recommandations...
Le rôle des parents
Ton site met beaucoup l’accent sur l’autonomie des parents dans leurs choix. Pourquoi est-ce si important pour toi ?
Les choses imposées fonctionnent difficilement. Chacun ses valeurs, et mieux vaut laisser le parent choisir les thèmes qu'il veut transmettre à son enfant. S'il veut montrer des films de combats où la force, la persévérance et l'importance du travail sont mises en avant, qu'il le fasse. S'il veut montrer des films où l'insecte a de l'importance et qu'il faut soigner la planète, ou un film où une femme peut avoir autant de potentiel qu'un homme, pourquoi pas. Après cela, on va le sensibiliser à l'âge dans ces différents thèmes. Je pense que j'attends aussi un minimum de questionnement de la part du parent. Ce n'est pas à moi de fournir à son enfant ce que lui doit se donner la peine de choisir. J'ai une liste de films de Noël, c'est de sa responsabilité de faire le choix.
Justement, on parle beaucoup en ce moment des dangers d’une trop longue exposition aux écrans pour les enfants. Quel est ton avis sur le sujet ?
Il y aura toujours des enfants qui vont bien se débrouiller avec plein d'écrans, parce qu'en parallèle ils sont aussi bien stimulés ailleurs. Il y aura des enfants avec de longues expositions qui vont devenir performants parce que l'écran est utilisé comme support : deux heures de jeux vidéo, deux heures de communication avec ses potes, deux heures de série, deux heures de scrolling, deux minutes de cours... Des ados peuvent passer huit heures sans problème face à l'écran. Mais les petits, avant 3 ans, c'est dangereux qu'ils y passent des moments où ils devraient plutôt être en train de se confronter au monde, surtout si l'adulte, ensuite, n'arrive pas à lui imposer 15 minutes maximum et qu'il le laisse deux heures comme ça, il est tranquille. Parfois, je me dis que notre site doit sensibiliser des parents qui ont des enfants qui peuvent avoir accès à tout sur leur téléphone... c'est mal barré.
Quelles pratiques recommandes-tu pour équilibrer le temps passé devant les écrans avec d’autres activités ?
Il y a déjà un problème quand, en famille, on doit se poser cette question. Le téléphone stimule beaucoup trop, il nous rassure aussi dans des répétitions avec gratification. Je conseille cette page : liens utiles et conseils. Le sport, la musique, le dessin, c'est la base. Comme les promenades à l'extérieur. Aller voir des expositions, des concerts, des manifestations de toutes sortes. Permettre à l'enfant de créer des liens sociaux, s'amuser avec d'autres dans des activités. Parler de tout, communiquer, partager. Pour moi, avant 10 ans, le temps d'écran doit être géré par l'adulte. Après, il faut savoir mettre les limites, mais ne pas enfermer non plus. Si l'enfant devient un créateur plutôt qu'un consommateur, vous n'aurez plus de problèmes d'écran. Franchement, le temps d'écran pour ceux qui produisent, ce n'est pas spécialement intéressant. Le temps d'écran, c'est du remplissage de vide, et ceux qui font des choses, qui créent, ils n'ont jamais assez de temps.
Penses-tu qu’il est possible de sensibiliser les enfants eux-mêmes à décrypter les messages des films qu’ils regardent ?
Si on veut créer des personnes un peu réflexives, c'est bien de discuter avec l'enfant, pendant et après le film. Mais la question est plutôt de savoir comment l'enfant pourrait être sensibilisé à regarder des choses qui ne le mettent pas mal à l'aise. Comment l'enfant peut demander que l'on fasse pause. D'ailleurs, si votre enfant le fait, c'est qu'il a appris à se positionner. Si votre enfant regarde tout et n'importe quoi sans sourciller, c'est plutôt là qu'il faut jouer notre rôle de parent et mettre des limites.
As-tu reçu des retours d’utilisateurs qui t’ont particulièrement marqué ?
J'ai très souvent des parents d'enfants qui, à l'école, ont vu des choses dérangeantes. J'ai des parents qui ne veulent pas d'écrans dans la vie de leurs enfants et qui se retrouvent confrontés à cela en garderie ou à l'école, avec des Disney type Le Roi Lion qui leur sont montrés.
Quel est le message que tu aimerais transmettre aux parents qui visitent ton site pour la première fois ? Que devraient-ils garder à l’esprit en consultant tes analyses ?
Bienvenue. Vous pouvez faire la même chose, c'est vous qui connaissez le mieux votre enfant. Regardez le film avant ou prenez du temps avec lui pour le voir et n'hésitez pas à faire des pauses et à discuter de ce qui se passe.
Quels sont tes futurs projets pour le site ?
Le fait d'avoir des centaines de pages à référencer demande un système spécifique. Nous n'arrivons pas, pour l'instant, à poser la liste complète des films ou un moteur de recherche performant. On aimerait bien changer cela et en profiter pour remodeler un peu l'apparence. Des fois, on se dit qu'avoir une équipe de psys qui pourrait analyser certaines œuvres et mettre un complément à mon analyse, ce serait intéressant. Tous les cinq ans, c'est bien de changer d'apparence, on verra...
Le mot de la fin
Dernière question : parmi tes films d’animation préférés, si tu ne devais en choisir qu’un, lequel serait-ce ?
- Merci, Jacques. Cette interview nous aura permis d’éclaircir de nombreux aspects de la classification par âge des œuvres audiovisuelles, tout en soulignant l’importance d’une approche éclairée et critique.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez obtenir davantage d’informations, rendez-vous sur FilmsPourEnfants.net pour découvrir les analyses détaillées proposées par Jacques Métille.