Le Studio des Ursulines - Émilie Nouveau

Publié le 27 janvier 2025 par Guillaume
Le Studio des Ursulines

Rencontres et interviews avec les talents de l'animation

 

Lors d’une escapade à Paris, à l’occasion des 20 ans de Mon Premier Festival, un programme d’éducation à l’image qui célèbre le cinéma jeune public et familial, j’ai eu la chance de découvrir plusieurs salles de cinéma indépendantes. Parmi elles, une en particulier a retenu toute mon attention, bien au-delà du film que je venais visionner.

 

Il s’agit du Studio des Ursulines, une salle historique débordant de charme et de poésie, qui se distingue par son riche passé cinématographique et son héritage Art et Essai. Aujourd’hui, cette institution s’est donnée pour mission d’offrir au jeune public parisien un espace unique de découverte, avec une programmation exigeante et des rencontres régulières avec celles et ceux qui façonnent le cinéma.

Séduit par l’authenticité et le cadre de ce lieu hors du temps, j’ai immédiatement souhaité en savoir davantage sur l’histoire du Studio. J’ai eu la chance de rencontrer Émilie Nouveau, la directrice et programmatrice de l’établissement, qui a généreusement accepté de répondre à mes questions.

Cet entretien est une occasion d’en apprendre plus sur le rôle des salles indépendantes, leur mission et leur passion. Nous espérons aussi que cette lecture vous donnera envie de franchir les portes de ce lieu magique, qui, à mes yeux, est le cinéma le plus chaleureux et inspirant de la capitale.

 

 

Le Cinéma

  • Bonjour Emilie. Est-ce que ton travail pour le Studio des Ursulines te rend heureuse ?

    Totalement, parce qu'on a fait une très belle année 2024. On a dépassé les 35 000 spectateurs, ce qui est un résultat qu’on n’avait pas atteint depuis de nombreuses années. On a aussi un beau line-up cette année, et on entre en pleine période de festivals avec notamment le PIAFF (Paris International Animation Film Festival) et le nouveau Ciné-Club qui cartonne en ce moment. C’est une super période.

     

  • Depuis combien de temps fais-tu partie de l’aventure du Studio des Ursulines ?

    Dans quelques jours, je vais fêter mes 5 ans au Studio. J’ai repris la direction du cinéma le 20 janvier 2020, et on nous a obligé à fermer le 1er mars 2020 en raison de la crise de la Covid-19. C’était une période compliquée, mais qui m’a tout de même permis, comme beaucoup d'autres exploitants, de remettre à plat beaucoup de sujets et de repartir sur de bonnes bases. Les bons résultats de fréquentation qui ont suivi la réouverture nous ont fait du bien au moral, et ont été très encourageants.

     

  • Pendant cette période, as-tu trouvé des solutions pour garder le lien avec le public, comme des projections en ligne ?

    On ne l'a pas fait, mais nous avons travaillé avec notre partenaire Benshi, une plateforme SVOD art et essai pour le jeune public, afin de recommander des films à notre public présent sur la plateforme.

     

  • Le Studio des Ursulines est une salle de cinéma historique à Paris. Peux-tu nous raconter son histoire et ce qui en fait aujourd’hui un lieu unique ? D’où vient son nom ?

    Le cinéma a été fondé sur un ancien couvent d’un ordre religieux nommé les Ursulines, ce qui explique son nom. Il a ouvert ses portes le 21 janvier 1926, donc le 21 janvier 2026, on fêtera ses 100 ans. Ce n’est pas un chiffre anodin ! Cela en fait l’une des premières salles de cinéma en France. À l’origine, c’était un lieu d’expérimentation, spécialisé dans les films d'avant-garde, ce qui a fait sa notoriété. On y projetait beaucoup de films surréalistes. Dali était un régulier du cinéma. Le Studio a sans doute été l’une des premières salles labellisées Art et essai. Puis, avec les années, il a évolué en ayant plusieurs vies, jusqu’à devenir, il y a 20 ans, une salle spécialisée dans le jeune public, avec malgré tout, une ouverture sur le tout public avec des Ciné-Clubs, des festivals et des temps forts.

     

     

    La Programmation

  • Tu es aussi programmatrice pour le cinéma. Tes choix de films projetés sont-ils guidés par tes goûts personnels ? Quelle est ta marge de liberté dans tes choix ?

    Le Studio des Ursulines est spécialisé dans le jeune public. Au-delà de cette spécificité, la deuxième chose importante dans notre programmation, c'est le côté art et essai des films que l'on défend. Nous avons très peu de blockbusters, et notre public vient chez nous pour découvrir autre chose. On a souvent tendance à penser qu'un programmateur va montrer les films qu'il aime, mais ce n’est pas forcément vrai... enfin, ce n’est même pas vrai du tout. Bien sûr, on a des coups de cœur, car c'est difficile de faire ce métier sans adorer certains films et avoir envie de les défendre plus que d’autres, mais on travaille avant tout pour la satisfaction de notre public. Par exemple, je ne suis pas une grande fan de japanimation, mais c'est un genre qui marche extrêmement bien en ce moment. Du coup, on ne peut pas passer à côté. Après, il y a aussi des sorties comme Sauvages, de Claude Barras, qui sont vraiment importantes pour notre salle et que l’on tient à défendre.

     

Sauvages - Claude Barrass - 2024

 

  • Comment gères-tu la programmation de cette salle atypique ?

    Dans le secteur jeune public, on s’aperçoit qu’il y a de plus en plus d’embouteillages : les films sortent pratiquement tous aux mêmes périodes, avant les vacances de la Toussaint ou celles de février. Les sociétés de distribution annoncent un line-up de films très en amont, avec des dates. Nous travaillons beaucoup avec des partenaires spécialisés dans le jeune public, comme Les Films du Préau, Gebeka, Cinéma Public Films, et KMBO. Parfois, des sociétés comme Haut et Court ou Eurozoom nous proposent aussi des films. Une fois les films visionnés, je les sélectionne en essayant de varier notre programmation. On est parfois obligé de faire des choix car nous sommes en mono-écran. Ce n’est pas toujours évident, mais les distributeurs comprennent nos limites. Ce qui est essentiel pour nous, c’est que les parents puissent trouver dans notre programmation un film pour tous les âges, disponible le week-end, le mercredi ou pendant les vacances scolaires. Nous trouvons un accord avec le distributeur et ensuite nous travaillons sur du matériel promotionnel : flyers, dossiers pour les enfants, et accompagnements pédagogiques pour les enseignants afin d'inviter les classes à venir chez nous.

     

  • Justement, tu organises régulièrement des projections scolaires avec l’intervention d’acteurs de l’industrie. Quel rôle souhaites-tu jouer auprès des plus jeunes ?

    De manière générale, dans le secteur professionnel on essaie de parler de plus en plus des métiers autres que celui de réalisateur ou réalisatrice, pour montrer qu’il existe toute une chaîne essentielle dans la création d’un film. Parfois les gens n’ont même pas conscience de l’existence de certains secteurs dans la création. Lorsque nous avons un intervenant, une personne de l'équipe du film, le public entre dans un silence religieux et s’intéresse vraiment aux coulisses. C'est extrêmement enrichissant pour le public d’échanger avec les créateurs du film. Par exemple, lorsqu’on projette un film en stop-motion et que nous avons la chance d’exposer les marionnettes après la séance, les enfants sont fascinés. Ils entrent directement en contact avec l’intervenant, à tel point qu’ils m’oublient complètement (rires). Nous avons la chance d’être à Paris, où de nombreuses équipes de films sont basées. Cela facilite beaucoup ces rencontres. On essaie d’en profiter au maximum pour que le public puisse découvrir ceux qui travaillent derrière la caméra.

     

  • Comment le public, en particulier les familles, réagit-il à ta programmation ? As-tu des retours qui t’ont particulièrement marquée ?

    La force d'une salle de cinéma Art et essai, c’est la proximité avec le public. Toutes les séances scolaires et celles pour les centres de loisirs sont présentées par Anne-Sophie, notre médiatrice culturelle. Elle est souvent là aussi pour échanger avec les enfants à la sortie des séances. Je suis très souvent là également pour accueillir leurs réactions. Généralement, les enfants ressortent avec des étoiles dans les yeux, et les retours des familles sont très positifs. Beaucoup de parents se réjouissent de faire découvrir à leurs enfants autre chose que les grandes productions Disney ou Pixar. Ce qui revient souvent dans les retours, ce sont les éloges sur la qualité des animations et la profondeur des histoires racontées, mais aussi cette french touch de l’animation. Prochainement, nous aurons l’honneur de diffuser Une guitare à la mer, un programme de courts-métrages proposé par KMBO, incluant le film de Pierre-Luc Granjon en écran d’épingle. C’est une œuvre d’une grande originalité, utilisant une technique d’animation rare qu’on n’a pas souvent l’occasion de voir au cinéma. Je suis convaincue que cela surprendra le public. Je me souviens aussi d’une maman syrienne qui était venue voir Dounia et la princesse d’Alep. Elle était extrêmement émue et m’a confié que le film était fidèle à son histoire et très accessible. Elle est même revenue avec sa famille pour le leur montrer. Ce genre de retours prouve qu’un film d’animation à destination des enfants peut être à la fois juste, intelligent et universel. Pour Sauvages, les enfants nous ont parlé de l’importance d’arrêter de consommer de l’huile de palme pour protéger la planète. En ce moment, avec la diffusion de Totto-Chan, la petite fille à la fenêtre, nous avons beaucoup de grands-parents qui viennent avec leurs petits-enfants et qui sont très touchés de pouvoir discuter avec eux du sujet de la guerre. C’est vraiment touchant.

     

    Totto-Chan : La Petite Fille à la fenêtre - Shinnosuke Yakuwa, Yûta Kanbe, Kunio Katô, Setsuka Kawahara - 2023

     

  • J’ai remarqué lors de ma venue au Studio, que le film projeté (Slocum et moi) était sous-titré pour les personnes malentendantes. Vous accordez une grande importance à l’accessibilité. Y a-t-il des améliorations prévues dans ce domaine ?

    Malheureusement, notre bâtiment est historique, et la préfecture de police nous a accordé une dérogation : nous ne pouvons pas accueillir de personnes en fauteuil roulant. C’est un lieu patrimonial où il est impossible de faire les travaux nécessaires. Mais nous essayons de nous rattraper en travaillant à rendre le cinéma accessible aux personnes en situation de handicap sensoriel. Par exemple, nous développons le sous-titrage SME (sous-titrage sourd et malentendants), avec un code couleur qui décrit non seulement les dialogues, mais aussi les sons, la musique et les émotions. Le sujet de l’accessibilité nous importe particulièrement, d’autant plus que l’établissement scolaire le plus proche est l’Institut National des Jeunes Sourds. Nous collaborons avec eux pour développer des séances scolaires adaptées. Il faut savoir que tous les longs-métrages français doivent, depuis quelques années, proposer un sous-titrage SME, ce qui facilite notre travail. Nous avons également installé une boucle à induction magnétique, permettant aux personnes équipées d’un appareil auditif avec le système T, de recevoir directement le son du film. Enfin, nous allons bientôt recevoir des casques d’audiodescription pour les personnes non-voyantes. Le cinéma doit être accessible à tous.

     

  • Y a-t-il d’autres grands projets pour le Studio des Ursulines pour les années à venir ?

    Nous allons continuer à accueillir les spectateurs dans les meilleures conditions possibles. Nous avons renouveler nos fauteuils et réfléchissons maintenant à rénover le hall d’accueil pour rendre l’expérience encore plus agréable. Nous poursuivrons aussi les événements comme le Ciné-Club, et plus précisément le Ciné-Maille, où les gens pratiquent le tricot tout en regardant un film, parce que ça fonctionnent très bien. Les séances sont toujours complètes, et nous avons ajouté de nouvelles dates.

     

  • Tu accueilles beaucoup de festivales aussi, comme Mon Premier Festival, le Ciné Junior, Image par Image. Est-ce que c’est important pour toi ?

    Côté festivals, notre objectif est d’offrir aux enfants tout ce que les adultes peuvent avoir, mais à leur taille et adapté à leurs problématiques. On accueille aussi des événements pour le tout public, le Paris International Animation Film Festival ou, début février, le festival Allers-Retours, spécialisé dans le film contemporain chinois, ou encore en avril, le festival Format Court, sur la création contemporaine française de court métrages. Tous ces événements sont importants, aussi pour défendre le format du court métrage, plus cohérent avec l’éducation aux images. Demander à un enfant de trois ans de se concentrer sur un long-métrage de plus d’une heure peut s’avérer très difficile. Le format court, en revanche, capte leur attention de manière efficace tout en leur permettant de découvrir des œuvres originales. C’est également un excellent moyen de les sensibiliser à la diversité artistique.

     

     

    Le Cinéma d’Animation

  • Quel est ton regard sur le cinéma d’animation d’aujourd’hui ?

    Le cinéma jeune public s’est beaucoup développé ces dernières années. Il y a encore peu de temps, c’était un secteur pionnier, avec peu de propositions de longs métrages. Aujourd’hui, il regorge de belles surprises. En 2025, nous aurons Le Secret des mésanges, un film d’animation en papier découpé, et c’est extraordinaire de pouvoir montrer ce genre d’œuvres aux enfants. Le secteur évolue très bien avec des productions de plus en plus intéressantes et riches. Les distributeurs proposent de plus en plus d’accompagnements pédagogiques avec des fiches d’activités ou des outils clés en main. Cela nous aide énormément, car notre actualité est toujours bien remplie. Je suis extrêmement optimiste pour l’avenir du cinéma jeune public.

     

  • Penses-tu que le cinéma d’animation s’est standardisé ?

    J’ai l’impression qu’on a parfois tendance à lisser les histoires pour qu’elles soient faciles d’accès. Les plateformes de streaming ont également bouleversé le paysage. Par exemple, le dernier Wallace et Gromit est une exclusivité Netflix. Ce film aurait mérité une sortie en salle. Lors de la sortie nationale de L’incroyable Noël de Shaun le mouton, tout le quartier a été envahi par des gens déguisés en moutons venus voir le film; c’était un moment super. Ces films grand public servent souvent de locomotive pour des œuvres plus modestes, et c’est terrible pour nous que Wallace et Gromit partent sur Netflix. Les plateforme de streaming et les cinémas peuvent coexister mais ils doivent travailler en toute intelligence.

     

    Wallace & Gromit : La palme de la vengeance - Nick Park et Merlin Crossingham - 2024

     

    Le mot de la fin

  • Quel message aimerais-tu transmettre aux personnes qui nous lisent ?

    Le Studio des Ursulines promeut tous les jours le cinéma d'animation sous toutes ses formes, avec des œuvres venues de tous horizons. Les films pour les petits sont aussi des films que les grands apprécieront. Il y a des programmes de courts métrages merveilleux. Ne vous limitez pas aux blockbusters : il y a des pépites à découvrir chaque jour.

     

  • À noter que les enfants qui viendront au Studio des Ursulines auront la chance de partager le film avec un public un peu particulier et tout mignon…

    Oui, ils sont là pour accueillir tous les fans de l’animation.

     

  • Pour finir, quel est ton film d’animation préféré, celui qui t’a marqué et pourquoi ?

    J’ai plein de films qui me viennent à l’esprit mais le film qui m’a énormément marquée, c’est Le Garçon et le monde, d’Alê Abreu. C’était une proposition totalement extraterrestre, d’une richesse incroyable. Ce film muet porte une grande émotion et nous emmène très loin visuellement. En plus, il est brésilien, et il y a peu de films brésiliens diffusés en France. Ce souvenir restera un moment fort de ma carrière.

     

Le garçon et le monde image 2
Le Garçon et le Monde - Alê Abreu - 2013

 

 

  • Merci, Émilie. J’espère que les Parisiens qui ne connaissent pas encore le Studio des Ursulines auront envie de pousser les portes de ce lieu unique, où le charme et la poésie du cinéma se mêlent à merveille, surtout s’ils viennent en famille.

     

    Pour aller plus loin

    Si vous souhaitez obtenir davantage d’informations ou découvrir la programmation du Studio des Ursulines, rendez-vous à cette adresse: studiodesursulines.com.

     

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